Assassinat de
Marguerite de Bourgogne
Le plus incroyable scandale de l’histoire de la France a éclate en 1314,a la
cour de France, au temps de Philippe le Bel. Depuis la mort de sa femme, la
reine Jeanne, on ne connaissait à Philippe IV le Bel aucune liaison
féminine. Il vivait une vie austère dans une rigueur absolue. Les trois fils
du roi avaient épouse de ravissantes princesses. Louis héritier du trône, le
futur Louis X le Hutin avait pris pour femme Marguerite de Bourgogne. Très
belle, très royale d’allure, sa beauté était dominatrice, conquérante. Elle
considérait le monde et son époux, avec un air de défi : Marguerite la
hardie. Ses belles sœurs, deux sœurs, filles de Mahaut, comtesse d’Artois,
et du comte de Bourgogne, étaient différentes ; Jeanne, femme de Philippe,
comte de Poitiers, calme et douce, offrait a ses amis le plus indulgent et
charmant sourire ; Blanche, femme de Charles, comte de la marche, était
primesautière, riait d’un rien, vivait sans souci, ignorant le lendemain.
Elles furent bientôt les meilleures amies du monde et rallièrent autour
d’elles la jeunesse de la cour. Élégantes, elles favorisèrent l’élégance.
Rieuses, elles recherchèrent ceux qui riaient. Chez les princesses, on fit
de la musique, on écouta des vers. les marchands d’étoffes rares, de parfums
précieux trouvaient toujours chez elles un accueil empresse. dans les
sombres salles voûtées du palais de la cité, les modes nouvelles prenaient
naissance. des modes parfois audacieuses : ainsi celle des robes qui
s’ouvraient jusqu’à la hanche, au rythme de la démarche . Le roi Philippe
observait cela de son regard sévère. Mais soucieux de laisser libre cette
jeunesse, ne réprimandait pas. Encore fallait - il que ces jolies filles
demeurassent en deçà de certaines limites. Elles n’y songèrent pas. Tête
baissée, elles se précipitèrent dans la tragédie. Depuis un certain temps,
les mauvaises langues de la cour chuchotaient sur le " dévergondage " des
princesses. Sans preuve. Dès qu’une femme est jolie, coquette, celles qui
n’ont jamais été jolies, et qui ne sont plus jeunes, jurent volontiers que
les premières sont coupables des pires péchés. On parlait de certains
rendez-vous. Le danger se précisa lors du voyage en France du roi Édouard II
d’Angleterre et de la reine isabelle son épouse au mois de mai 1313.
Isabelle était la fille de Philippe le Bel et lui ressemblait beaucoup. elle
était comme lui implacable dans ses jugements et ses décisions. De plus, son
mariage n’était pas heureux, le roi Édouard préférant de beaucoup a sa femme
les jeunes pages de la cour. De cette disgrâce, le cœur d’isabelle était
sorti meurtri, durci. Aux côtés de son père, de ses trois frères et de leurs
femmes, elle assista aux fêtes que Philippe offrit au roi d’Angleterre :
spectacles, défilés, tournois. Le roi conféra la chevalerie à ses fils.
Plusieurs seigneurs la reçurent en même temps : notamment deux frères,
appelés Gautier et Philippe d’Aulnay. Isabelle remarqua ces deux chevaliers.
L’un et l’autre étaient de magnifiques seigneurs, grands, beaux, courageux,
adroits dans les exercices corporels. Adroits aussi dans certains exercices
moins innocents. Ce qui frappa soudain isabelle c’est de voir pendre à la
ceinture des chevaliers d’Aulnay, une aumônière. Ce qui l’étonnait, c’est
que ces aumônières ressemblaient singulièrement à celles qu’elle même avait
offertes quelques temps au paravent à ses belles sœurs Blanche et
Marguerite. Elle profita d’un moment ou les frères d’Aulnay s’approchaient
pour les observer de près. Nul doute : c’était là ses aumônières. Ainsi
peut-on reconstituer la démarche d’esprit d’Isabelle, à travers les
chroniques du temps. nul doute non plus sur la haine éprouvée par Isabelle
pour ses belles sœurs. Lorsqu’elle fut convaincue de la culpabilité des
jeunes princesses, il apparaît qu’une violente colère l’embrasa toute
entière. Ainsi ce que l’on racontait était vrai. La disgrâce de ces frères
se révélait complète, absolue. La cour de France abritait les plus
débauchées des princesses. c’est sa fierté blessée de princesse
orgueilleuse, fille de Philippe le Bel, mais aussi l’inconsciente jalousie
d’épouse frustrée, face au spectacle irritant de femmes physiquement
comblées qui la poussèrent à réagir aussi violemment Isabelle demanda
audience au roi Philippe. Le roi résidait alors au château de Maubuisson,
près de Pontoise. Blanche de Castille avait fonde l’abbaye de Maubuisson,
saint louis y séjourna. Les rois successifs y venaient afin de fuir les
agitations et l’air empuanti de la cite. Philippe le Bel, petit-fils de
Saint Louis avait une prédilection pour Maubuisson. c’est à Maubuisson, pour
une grande part ( le duc de Lévis Mirepoix l’a note ) que son oeuvre
colossale a été élaborée. A la veille de toute décision grave, le roi se
rendait dans l’abbaye de son grand père et se repliait un peu plus sur
lui-même il priait, s’élevait l’âme, cherchait et se cherchait. Quand il se
retirait à Maubuisson, la cour l’accompagnait. Une cour bien restreinte,
formée d’hôtes rudes, conseillers, prêtres ou guerriers. Formée aussi de la
proche famille du roi. cette famille allait faire éclater à Maubuisson le
plus tragique des drames prives qu’ait jamais traverse la monarchie
Française. Après avoir entendu la stupéfiante accusation d’Isabelle,
Philippe a fait procéder à une enquête secrète. Elle a confirme en tous
points la triste réalité : Marguerite avait pour amant Philippe d’Aulnay ;
Gauthier le frère de Philippe d’Aulnay était l’amant de Blanche. Quant à
Jeanne, elle n’ignorait rien ; même, par sa présence, elle s’était faite la
complice bienveillante de sa sœur et de sa belle sœur. Que décidera le roi ?
en punissant les coupables, fera-t-il éclater le scandale, ce scandale que
réprouvent les écritures, ce scandale par quoi seraient éclaboussées non
seulement la famille royale, mais la monarchie ? quand il sut les
débordements des princesses et que cette affaire été connue de presque tous
a la cour, Philippe le bel n’hésita pas. De Maubuisson, la justice du roi
s’abattit sur les princesses adultères et aussi sur leurs complices. C’était
au début de l’année 1314. De nuit, furent arrêtées Marguerite, Jeanne et
Blanche. Elles apprirent aussitôt que les frères d’Aulnay gémissaient déjà
sous l’atroce question. D’abord Gauthier et Philippe tinrent bon. Le
bourreau redoubla de raffinement. Rarement corps souffrirent autant que ceux
des malheureux cavaliers. Anéanti de douleur, Philippe parla enfin : c’est
vrai, il était l’amant de la princesse Marguerite. Peu après, Gauthier
avouait être celui de la princesse Blanche. En leur prison, Marguerite et
Blanche, qui ont d’abord nié, s’affaissent sous le poids effrayant de ces
aveux. L’orgueil de la première, la futilité de la seconde produisent des
résultats identiques : l’une et l’autre, dans les sanglots ; avouent
l’adultère. Seule, la douce Jeanne continue de protester : elle n’est pas
coupable ; si elle a su certaines choses déplaisantes, elle s’est refusée à
les faire connaître " par la honte de son lignage . " Jeanne exige de
voir le roi. Il la reçoit, déclare qu’elle aura licence de se défendre
devant le tribunal qu’il lui réserve : sur ce, il la fait conduire ( non
sans égards ) au château de Dourdan. Pour Marguerite et Blanche, les
coupables nulle pitié. Elles sont tondues, vêtues de bure, et conduites,
dans un chariot tendu de noir, au château des Andelys. On donne à Marguerite
une cellule " au ras du sol. ", à Blanche, un cachot " enfoncé
dans la terre. " Il reste à punir les chevaliers d’Aulnay. La torture ne
leur avait laissé que le souffle. Les caves de Maubuisson avaient retenti de
leurs plaintes, de leurs inutiles clameurs de souffrance et de désespoir.
Vint le jour du dernier supplice. Devant un public affriolé, on les
émascula. Puis attachés à des chevaux, on les traîna, nus, sur un chaume
fraîchement coupé. Malgré cela ils n’étaient pas encore morts. On leur coupa
la tête avant de les pendre, par les aisselles, au gibet, sur la place du
Martroy à Pontoise. Jeanne comparut devant le parlement. Elle se défendit
sans plaintes inutiles, calmement, posément. Elle n’avait que vingt ans. On
l’écouta. " par défaut de preuves. ", elle fut acquittée. Son époux,
le prince Philippe, songea bien à faire casser la mariage, mais il lui
aurait fallu perdre la Franche - Comté. Il préféra pardonner. Le vieil
historien Mezeray dit qu’il se montra en cela " plus heureux ou plus
sage que ses frères. " Peu de temps après, Philippe le Bel mourut. Au
Château-gaillard, Marguerite donnait les preuves du plus violent repentir.
Elle était " en pleurs, jour et nuit. " Sa santé se minait. Elle
mourut. Certains affirment que Louis X le Hutin, son mari, pressé de se
remarier, aurait fait hâter les choses. Marguerite aurait été étouffée entre
deux matelas. Ce n’est pas prouvé. Blanche, elle, prenait plus légèrement sa
captivité. quand Etienne, évêque de Paris, vint la voir pour solliciter son
accord à l’annulation de son mariage, elle l’accueillit avec enjouement et
sourire. Pourtant, elle, prisonnière depuis des années, était, par un
curieux coup du sort, devenue reine de France, son époux régnant sous le nom
de Charles IV. Elle accepta de bon gré l’annulation. plus tard, on la
transféra à Gavray, en Normandie. puis, elle sollicita d’entrer au cloître,
d’endosser l’habit de pardon et d’oubli. on le lui accorda. elle obtint
quelque temps plus tard de se retirer a l’abbaye de Maubuisson ou elle
mourut. Quand Philippe régna, devenant Philippe V, Jeanne à son tour devint
reine de France et de Navarre. on ne parlait plus a la cour du scandale de
1314. On contait pourtant à voix basse que la réconciliation des deux époux,
avait été obtenue, à la demande de Mahaut d’Artois, par une sorcière : cette
femme, en mêlant du sang de Jeanne et des herbes, aurait composé un
sortilège. Car ce siècle voyait en tout événement déconcertant, l’effet
d’une sorcellerie. Jeanne reçut de son mari, en 1319,un cadeau : l’hôtel et
la tour de Nesles. Devenue veuve, elle alla y demeurer. dans son testament,
elle prescrivit que l’on vendit l’hôtel après sa mort, pour fonder un nouvel
établissement de l’université de paris, le collège de Bourgogne. "
elle aimait donc les écoliers. ", dit un historien ; de la à les recevoir à
la tour de Nesles et à les jeter dans la Seine au petit matin, il n’y a que
l’épaisseur de la légende. Cette légende a pris son essor des 1471. Un
maître es arts de l’université de Leipzig raconte qu’il exista " jadis
. " ( l’époque n’est pas précisée ) une reine de France et de Navarre,
dévergondée à un point incroyable, qui, faisant une grande consommation
d’amants, avait trouvé pratique d’attirer chez elle les étudiants après
s’être livrée à eux, elle les faisait tuer et jeter dans la Seine. Mais un
professeur renommé de l’université de Paris, un certain Buridan, déjoua la
ruse de la débauchée. Reçu par la reine il " s’esbaudit. " avec elle
pendant trois jours. Après quoi elle l’avertit qu’elle allait le faire jeter
dans la seine ( comme ses prédécesseurs ). Mais Buridan avait pris soin de
faire avancer par ses élèves un bateau de foin sous les fenêtres de la
reine. Il s’y laissa tomber, " tandis que l’équipage du bateau jetait
une pierre dans l’eau. " voila la légende à son point de départ. La reine ?
quelle reine ? était-ce vraiment Jeanne de Bourgogne ? est-ce d'elle que
Villon écrit: |
Dernière Modification 22/12/16 © Histoire de France 1996
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