Québec
La Place du Marché dans le centre de Montréal. Ce quartier ancien est resté
miraculeusement à l'écart des bouleversements consécutifs à l'activité de la
métropole moderne.
Côté français, l'histoire du Québec commence avec le Malouin Jacques
Cartier débarquant à Gaspé, en 1534, et prenant possession des terres
canadiennes au nom de François Ier. Suit une longue période d'histoire française
jalonnée par la fondation de Québec (1608) par Champlain, la recherche de peaux
de castors, l'alliance des "bons Hurons" contre les mauvais Iroquois (soutenus
par les Anglais), la victoire de Frontenac repoussant les Anglais à Québec en
1690... glorieux chapitres qui s'achèvent par une défaite et mort de Montcalm en
1759.
Dès lors commence l'histoire dont les Anglais aiment le mieux
se souvenir. En 1763, la France abandonne ses "arpents de neige" canadiens à
l'Angleterre qui abolit aussitôt le catholicisme et établit de nouvelles
institutions pour entreprendre sérieusement la mise en valeur de ce nouveau
fleuron de la couronne britannique : création d'usines de fabrication de pâte à
papier à Lachute (1803), naissance de l'industrie cartonnière à Sherbrooke
(1845), exploitation des mines de fer, d'or, de bauxite, etc.
Ainsi les deux vieilles puissances européennes trient dans le
passé du Québec à la recherche d'un titre irréfutable de propriété. Les uns
arguent de la langue, de la toponymie, de la religion, les autres du poids du
passé récent, de l'amitié de la nation canadienne, du rôle des capitaux
anglo-saxons dans le développement économique du pays... discussion sans issue
et aussi sans objet, car l'enjeu du débat, le Québec, est, entre-temps, devenu
majeur et ne prête guère plus d'attention aux querelles des Anglais et des
Français que ceux-ci n'en accorderaient aux arguties entre descendants des
Francs et des Romains.
Le Saint-Laurent, veillé par les
campaniles de Québec. Concurrencé depuis la seconde moitié du XIXe
siècle par Montréal, Québec demeure un port très actif où accostent les
transatlantiques qui ne peuvent remonter jusqu'à Montréal.
Les Anglais ont l'impression de connaître le Québec parce que
c'est une partie d'un dominion, parce que la prééminence de la reine y est
reconnue; les Français s'accrochent au souvenir de "Maria Chapdelaine", voire à
des refrains de chansonnettes ("Ma cabane au Canada", par exemple). C'est le
meilleur moyen de passer à côté de la réalité canadienne française et cela n'a
pas plus de rapport avec la réalité d'aujourd'hui que les propos d'une vieille
tante évoquant la personnalité d'un chef d'Etat, d'un grand écrivain ou d'un
savant à travers les boucles précieusement gardées, les souvenirs de "sottises"
enfantines ou les photos défraîchies de l'album de famille.
Car si les Québécois ont, de par leur origine, des parents et
des cousins en Europe, ils sont avant tout Américains. Pendant que les Anglais
et les Français s'affrontaient ou épiloguaient sur leurs chamailleries, ceux qui
avaient choisi d'être Québécois - et rien de plus - ni de moins - s'enracinaient
dans un sol qui avait le mérite d'être spacieux, offrant ainsi à chacun la
possibilité de se tailler un espace à sa mesure.
Comment reconnaître parmi ces gratte-ciel de Montréal,
l'ancienne Ville-Marie, fondée en 1642, pour porter l'évangile aux indigènes du
Haut-Saint-Laurent? 40% de la population québécoise vit à Montréal, pôle de la
vie économique, que son activité place au rang des grandes capitales
nord-américaines.
Résultat : des villes comme Québec ou Trois Rivières qui
ressemblent à des petites villes du centre ouest de la France mais qui
paraissent "grandes" au jeune visiteur français, alors que les villes françaises
sont d'abord perçues comme "petites" par les jeunes Canadiens; à plus forte
raison s'ils viennent des gratte-ciel de Montréal, deuxième ville francophone du
monde (plus de 2 700 000 habitants), après Paris certes, mais avant toutes les
autres.
Si les Québécois ont ainsi choisi de bâtir de grandes villes,
ce n'est pas qu'ils soient particulièrement nombreux, c'est simplement qu'en
toutes choses, ils ont choisi de voir grand.
D'ailleurs, tout dans ce pays invite l'homme à aller jusqu'au
fond de ses possibilités. Il y a d'abord l'appel de l'espace.
La moitié de la population de la Belgique (environ 6 200 000
habitants) est répartie sur un espace égal au triple de la superficie de la
France (1 824 724 km²), tel est le rapport fondamental qui domine la vie des
Canadiens du Québec.
Il y a ensuite le défi d'une nature et d'un climat peu
cléments : hiver long et froid (température moyenne du 15 novembre au 5 avril :
-11°C), été chaud et humide, saisons intermédiaires courtes. Mais les Québécois
sont habitués à ce climat rude qui stimule leur dynamisme et, dans le fond de
leur cœur, se réjouissent de n'être pas trop nombreux à profiter de la beauté
d'un pays où les forêts sont riches en caribous, chevreuils, ours noirs, lynx,
renards, mouffettes, lièvres, perdrix, canards, cependant que dans les rivières
abondent ombles, truites et saumons.
Solidement ancré sur sa terre vaste et riche, le Québécois
affronte avec sérénité le monde qui l'entoure et deux allégeances le sollicitent
: celle du monde anglo-saxon où le Québec est immergé, celle de la culture
française à partir de laquelle il a forgé son identité.
Numériquement, les 6 millions de francophones du Québec ne
pèsent pas lourd en face des anglophones du reste du Canada, deux fois plus
nombreux, et surtout des 240 millions d'anglophones d'Amérique du Nord. On peut
se demander ce qu'il serait advenu de la langue française en Europe si les
Français avaient été entourés de 2 milliards d'anglophones.
Les Québécois ont eux tenu. Ils ont résisté pied à pied en
refusant d'adopter la langue anglaise, se soulevant au besoin pour reconnaître
leurs droits (1837, 1918) et surtout en utilisant l'arme traditionnelle des
pauvres : les enfants - le lit de la misère étant, comme chacun sait, fécond.
De 1608 à 1760, moins de 10 000 Français étaient établis au
Canada : c'est à partir de cette souche exiguë que s'est développée la
population canadienne française, le taux de natalité se maintenant, jusque vers
la fin du XIXe siècle, au dessous de 50‰.
Fort de la jeunesse de sa population, le Québec a pu
progressivement affirmer sa personnalité au sein de la Fédération canadienne
d'abord, dans le reste du monde ensuite. Aujourd'hui, le Québec a pour langue
officielle le français (depuis 1974), il signe des accords culturels ou
économiques avec des Etats étrangers, et ses chanteurs (Félix Leclerc, Gilles
Vigneault, Robert Charlebois), ses films (La vraie nature de Bernadette, Le
chat dans le sac, L'homme multiplié, La maudite galette) font le tour du
monde, cependant que patiemment une génération prometteuse d'écrivains (Yves
Thierault, Claude Jasmin, Rejean Ducharme, Marie-Claire Blais, etc.) présentent
et analysent une autre façon d'être français, celle des Québécois.
Les rives boisées du Saint-Laurent, "le
chemin qui marche" comme l'appellent les Indiens. Les touristes, américains
surtout, mais aussi européens, viennent nombreux profiter des ressources que
leur offre une nature à la fois exploitée et respectée.
Car les Québécois n'imitent personne : il ont la vigueur et
la santé des jeunes arbres et ils ne doivent rien d'autre à la France que les
graines d'hommes que le vent a un jour emporté par-dessus les océans pour y
croître sur une autre terre et sous un autre soleil. Cela n'empêche pas les
Québécois d'être curieux de ce qui se passe chez les autres peuples dont ils
partagent la langue et, à ce titre, ils ont joué un rôle important dans le
développement de la francophonie; ils sont notamment à l'origine de la création
à Montréal de l'Association des Universités de langue française. A la différence
de la France, marquée par son passé de puissance coloniale, le Québec est
souvent mieux placé que l'ancienne métropole pour établir des liens nouveaux
entre tous ceux qui parlent français. Ainsi par son action culturelle dans le
monde, le Québec se désenclave un peu plus et parachève le combat qu'il a
victorieusement mené au Canada contre l'emprise de la langue anglaise.
Dans le domaine économique et financier, le Québec a plus de
difficultés à se libérer de l'influence des anglo-saxons. Deux raisons à cela :
la dépendance politique à l'égard de l'Angleterre (relayée par la suite par les
Etats-Unis), plus encline à partager dans le domaine politique et culturel que
dans le domaine économique et financier, et l'indifférence des Québécois
eux-mêmes qui avaient choisi d'affirmer leur identité culturelle avant de
chercher à s'enrichir.
Ainsi pendant des siècles, ils ont été plus volontiers
cultivateurs ou trappeurs, pendant que les anglophones créaient des banques, des
sociétés anonymes, et tissaient la trame solide de l'expansion capitaliste et
urbaine. Les Québécois, eux, persistaient à gratter la terre et l'érable, à
élever des enfants, à aller à la messe et à parler français en famille. C'était
leur façon de préparer l'avenir.
Effectivement, quand la situation a été jugée mûre, ce peuple
s'est brusquement redressé et inexorablement a entamé sa "révolution
tranquille".
Un à un, tous les verrous qui bridaient la croissance du
Québec ont sauté : le clergé, qui avait parfaitement aidé les Québécois à
résister sur le plan culturel, mais ne réussissait pas à les aider à s'imposer
sur le plan économique, a vu son influence évoluer, la société traditionnelle a
été remodelée, l'éducation intensifiée, et le Québec a commencé à perdre son
essor économique.
Aujourd'hui le Québec est le premier producteur mondial
d'amiante. Il produit aussi du fer (les réserves estimées de minerai
s'élèveraient à 4 milliards de tonnes), du zinc, du cuivre, de l'argent, de
l'or, bref plus d'une quarantaine de substances métalliques et non métalliques à
un rythme de production toujours plus accéléré.
Les forêt du Québec (1 150 737 km²) constituent toujours
l'une des principales richesses du pays, qui exporte environ 4 millions de
tonnes de bois par an (soit les 4/5 de sa production). Ajoutons qu'à lui seul il
commercialise environ 12,5% des exportations mondiales de pâtes et de papier !
Plus récemment, le Québec a entrepris de capter la puissance
de ses innombrables rivières : les résultats obtenus représentaient déjà plus de
40% de la production énergétique canadienne. Et ce n'est pas fini : en plein
désert nordique, à un millier de kilomètres au nord de Montréal, des hommes
travaillaient nuit et jour pour construire un vaste ensemble de centrales
hydroélectriques qui produira plus de 70 milliards de kWh par an.
Pour les Québécois, ce n'est pas un coup d'essai. En matière
de grands travaux, ils s'étaient déjà fait la main en créant la voie maritime du
Saint-Laurent : grâce à cette œuvre gigantesque, inaugurée en 1959, les
long-courriers d'un tirant d'eau de plus de 8 m, peuvent franchir les 3 540 km
qui séparent le lac Supérieur de l'Atlantique, et la rade de Montréal est ainsi
devenue le premier port intérieur du monde.
Le barrage Daniel-Jonhson (Manic V) réalisation la plus
spectaculaire de l'aménagement de la rivière aux Outardes et de la Manicougan.
85 000 ouvriers ont travaillé à sa construction. La voûte centrale pourrait
abriter la coupole de Saint-Pierre de Rome.
Ce brusque décollage économique ne manque pas d'attirer de
nouveaux immigrants vers le Québec qui, vers tous les Etats de la Fédération
canadienne est, après l'Ontario, celui qui reçoit le plus d'étrangers.
Il en résulte certains problèmes, car si certains immigrants
(Français, Italiens) renforceraient plutôt la primauté de la langue française,
d'autres (Mexicains, Allemands, etc.) ont plus de difficultés à s'assimiler. Le
gouvernement québécois s'efforce de pallier cet inconvénient en multipliant les
cours du soir et en ouvrant aux jeunes immigrants des classes dites "d'accueil"
où les écoliers non francophones sont initiés au français avant d'être intégrés
aux classes ordinaires.
Est-ce dire qu'un jeune Français par exemple ne rencontrera
aucune difficulté d'adaptation? Tout dépendra en fait de ses compétences
techniques et intellectuelles et aussi de sa capacité d'adaptation.
La question des compétences est importante car le Québec
n'est plus depuis belle lurette la dernière chance des "ratés" d'Europe. En
revanche, ceux qui possèdent une formation professionnelle ou des diplômes
valables auront sans doute plus d'occasion de réussir qu'en Europe où les
structures sociales sont plus rigides qu'au Québec. Tout dépend en dernier
ressort de la faculté d'adaptation du sujet à un environnement humain différent.
Si le jeune Français débarquant au Québec s'obstine à considérer les Québécois
comme un Parisien considère parfois les provinciaux, il a toutes les chances :
1. de ne rien comprendre aux Québécois;
2. de se faire payer de retour et d'être méprisé à son tour par ceux qu'il
croyait pouvoir traiter de haut.
En revanche, un jeune Français, décidé à s'intégrer à un pays
proche mais différent du sien par bien des points, n'aura guère de mal à
s'intégrer à une nation qui demeure fondamentalement accueillante. Dès lors, il
pourra profiter à plein de tous les avantages matériels qu'il y a à vivre au
Québec et aussi s'enrichir sur le plan intellectuel et humain.
Les Québécois bénéficient en effet d'une position charnière
irremplaçable : ils ont pu assimiler le pragmatisme et le "know how" anglo-saxon
sans en devenir esclaves car leur culture différente les fait participer à un
autre univers mental, de même qu'ils ont pu prendre leurs distances à l'égard
d'une culture française souvent trop passéiste et la réinventer en terme
américain. C'est ainsi que de toutes les nations qui parlent français, le Québec
est devenu la plus moderne.
Etre Québécois est, aujourd'hui, une grande chance.
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