Far West

    "Far West"...littéralement, "Ouest lointain". On désigne sous ce terme l'ensemble des territoires situés aux Etats-Unis, entre le bassin du Mississippi et la côte Pacifique. Ces vastes domaines, naturellement très contrastés (grandes plaines monotones et désespérément plates; piedmont morne comme un lac gelé; barrière majestueuse des Rocheuses ou de la sierra Nevada...), étirés entre les frontières du Canada et du Mexique, prennent leur homogénéité relative d'un contexte historique commun et fort original.
    Situé au nord de la Red River et à l'ouest du Missouri, le Far West s'étendait jusqu'au côtes du Pacifique.
    C'est surtout à partir de 1848, en effet, avec la découverte de l'or californien, que s'est véritablement amorcée, sous l'égide anglo-saxonne, l'intégration progressive de cet "extrême Ouest" américain dans l'ordre politique et économique de la jeune nation. Jusque là, après les quelques périples des aventuriers ibériques ou les voyages d'explorateurs comme Lewis et Clark, qui remontent le Missouri en 1803, le Far West reste l'apanage de nombreuses tribus amérindiennes, souvent en conflit : Indiens de la Prairie, immortalisés par Fenimore Cooper, comme les Comanches, les Pueblos, les Cherokees, parfois récemment implantés, car chassés de l'Est par la colonisation européenne; cavaliers belliqueux du Nord-Ouest, tels les Sioux, les Dakotas, les Kiowas, les Pawnees ou les Arrapahoes; nomades plus frustes du désert du Sud-Ouest, comme les Apaches, les Yumas, les Mescaleros ou les Mohaves...
    Morceau par morceau, les territoires de chasse des Indiens sont occupés, toute résistance écrasée, le reliquat des tribus parqués dans des "terrains réservés", à jamais garantis (entre la présidence de Jackson, en 1805, et 1890, plus de 400 traités sont signés entre les Indiens et le gouvernement de Washington!), mais promptement envahis à la moindre découverte, au sein de cet Eldorado à demi légendaire... La défaite du général Custer, "l'Homme de l'Ouest", tué par les Sioux à Little Big Horn, en 1876, reste le dernier fait d'armes des Amérindiens du Nord.
    Les combats qui opposèrent les Indiens de la "Prairie" à l'armée fédérale forme la trame de nombreux westerns inspirés aux réalisateurs américains par l'épopée de la conquête de l'Ouest.
    De 1872 à 1874, plus de dix millions de bisons sont abattus par les pionniers et les chasseurs de fourrures. Or ces bisons constituaient la clef de voûte de la plupart des civilisations indiennes. En 1877, Sitting Bull fuit au Canada. En 1886, c'est la reddition du dernier chef apache, Geronimo, qui finira sa vie en parcourant les expositions et en vendant son portrait! Après 1890 et le massacre de Wounded Knee (deux cents femmes et enfants sioux assassinés par les troupes fédérales), l'Amérique a désormais "résolu" le problème indien. La dernière réserve indienne de grandes dimensions, l'Oklahoma, est officiellement ouverte aux pionniers le 22 avril 1889, à midi, par un coup de canon : dans une course fantastique, des milliers d'Arkies, de Kentuckians, de Louisianais, déferlent sur le territoire.
    La seconde moitié du XIXe siècle voit donc s'accélérer un processus de déplacements gigantesques. "Quelquefois, l'homme marche si vite vers le Far West que le désert réapparaît derrière lui", chante le héros de la ballade de King Gordon. Le déplacement progressif de la "Frontière" prend des allures d'épopée, dont les héros, farouches et violents, se rendent volontiers justice eux-mêmes : cow-boys hauts en couleur surveillant d'énormes troupeaux bovins qui vaguent à travers les Rocheuses; âpres cultivateurs en conflit permanent avec les riches éleveurs; chercheurs d'or, fabricants d'armes, explorateurs, trappeurs, aventuriers.
    Mythe ou réalité? Cette scène du film Caravane vers l'Ouest, de James Gruze, évoque la vie des pionniers américains. Protégés par un cercle de chariots, les émigrants méditent la Bible, à la lueur d'un feu.
    Au "livre d'or" du banditisme, citons Jessie James, la bande Youger, Butch Cassidy, Billy the Kidd, Sam Bass, les frères Dalton ou John Wesley Hardin, "le pistolet le plus rapide de l'Ouest"! A celui des redresseurs de torts et autres défenseurs vertueux de la Loi, Wild Bill Hickok, le sheriff Wyatt Earp, Bat Matterson, "l'homme aux deux colts", et, plus célèbre encore, l'incomparable Buffalo Bill.
    Cette épopée du milieu du XIXe siècle, exacerbée par la fièvre de l'or, fut largement favorisée par la construction des grands transcontinentaux ferroviaires (Central Pacific, Union Pacific Railway,...). Jusqu'alors, la conquête de l'Ouest s'était surtout faite, non par les (trop) réputés chariots bâchés des "westerns", mais par la voie maritime : moins de 10% des immigrants qui ont tenté l'aventure du Far West prirent effectivement, au cours du demi-siècle, la route terrestre, à travers un continent parsemé d'embûches de toutes sortes : Indiens, animaux sauvages, aléas climatiques... En revanche, la plupart s'embarquèrent sur les navires affrétés par les compagnies de New York, Baltimore ou Philadelphie. Deux voies maritimes étaient possibles : par le golfe du Mexique et l'isthme de Panama (avec transbordement de Panama à Colon) ou, plus simplement, mais pour un voyage de près de six mois, par la "route du Pacifique", doublant le célèbre cap Horn.
    Le 10 mai 1868, la première voie ferrée transcontinentale est achevée, avec la pose symbolique du dernier clou, le "clou d'or de Promontoire" (Utah), réduisant le voyage à moins d'une semaine. Dès lors, les périples maritimes et les convois des "trailers" sont rapidement relégués dans l'armoire aux souvenirs. A la fin du siècle, les multiples conflits entre éleveurs et agriculteurs se résorbent.
    Le "Far West" est définitivement et officiellement divisé en "Etats" et accepte les lois de Washington : la Californie, l'Oregon, l'Idaho, le Wyoming, le Nevada, l'Utah ou l'Arizona vont désormais contribuer, avec leurs atouts propres, au développement de la nation américaine, et constituer, au lendemain de la "Guerre du Pacifique", l'un des plus puissants bastions économiques des Etats-Unis.
    La vie aventureuse de ces pionniers et de tous ces héros, de Buffalo Bill à Jessie James, du général Custer au plus anonyme des chercheurs d'or, toutes ces figures du Far West nous sont devenues familières, grâce au cinéma qui s'est très vite emparé de cette mythologie enracinée dans l'histoire même des Etats-Unis. Sortis de l'histoire pour, aussitôt, entrer dans la légende, ces héros ont pour nous figure humaine grâce aux "monstres sacrés" qui les ont interprétés : Henry Fonda, John Wayne, Gary Cooper, Paul Newman.
    Forme spécifique du cinéma américain, inspiré donc par l'histoire, mais largement ouvert à la fiction, le western s'est très tôt forgé tout un carcan de thèmes et de stéréotypes en même temps qu'un rythme particulier, fondé sur une action rapide, sans rupture, et sur une situation habilement échafaudée. Ce code rigide, tout film sur l'Ouest le respecte. Aussi n'est-il que la personnalité du cinéaste qui puisse conférer à l'œuvre intérêt et originalité!
    Les bons et les méchants se disputent un univers intemporel où la mort, bien que constamment présente, n'existe pas en tant que telle. Monde "clos et parfait" où tout geste, toute parole, prennent valeur de défi. Du côté du bien : le sheriff, symbole de l'ordre et de la loi; à travers lui, c'est l'organisation sociale du Wild West, avec ses fermiers et ses terres soigneusement réparties. Du côté du mal : le bandit, l'aventurier, en quêtes d'expéditions punitives, d'attaques de diligences ou de banques, prompts à faire feu ou à régler une affaire d'honneur par un combat à poings nus. En marge, mais toujours présent, le Peau-Rouge qui oppose à l'armement du cow-boy (Winchester 73, Colt 45, ...) ses flèches implacables et surtout une ruse à laquelle peu de Blancs réussissent à échapper. Les longues caravanes de chariots bâchés qui sillonnent les pistes solitaires de l'Ouest sont à la merci d'une attaque indienne fulgurante et meurtrière. Pendant près d'un demi-siècle, le cinéma ne vit dans ce thème qu'une manifestation supplémentaire du courage des pionniers face à de sournoises embuscades.
    En toile de fond pour ces épopées westerniennes : les montagnes Rocheuses, le Rio Grande, le Mexique. Au sein de ces vastes espaces, se sont élevées quelques petites villes où font escale les voyageurs les plus divers. Il y a là les boutiques traditionnelles (salon de coiffure, bazar, banque, ...), l'hôtel avec son saloon bruyant et enfumé, la gare où débute fréquemment l'aventure, le bureau du sheriff et la prison... Dans les rues, rapidement désertées lorsque plane une menace quelconque, se traitent les conflits entre éleveurs et fermiers du voisinage, se règlent les vengeances de longue date, ou se déroule la capture d'un dangereux hors-la-loi, qui se conclut parfois par un lynchage tragique ou par une pendaison sommaire sur la place publique.
    Au fur et à mesure de l'avance des colons, les villages s'installent : baraques de bois, église, saloon, groupés autour d'une rue centrale où se règlent, de façon parfois expéditive, les différends qui opposent des protagonistes à l'arme prompte.
    Cet univers, sur lequel semble peser une perpétuelle malédiction, n'est pas, toutefois, dénué de pittoresque et d'humour, voire d'un certain burlesque. L'ordre, constamment menacé, y est toujours rétabli, et le film s'achève généralement par une "fin heureuse". Pause en fait bien provisoire et marquée d'un certain pessimisme, car le héros retrouve sa solitude et sa vie errante. Le bonheur auquel il a droit ne peut être qu'éphémère; sur cette douloureuse constatation repose en quelque sorte toute la mythologie du western.
    Remonter aux débuts du genre, c'est en revenir aux bandes-minute d'Edison pour le Biograph, dès la fin du XIXe siècle, et surtout au Vol d'un rapide, d'Erwin S. Porter, en 1903. Neuf minutes suffisent à traiter 21 scènes de l'histoire d'un hold-up avec une grande force dramatique. Le western était né; désormais, il devait susciter une production abondante sous la férule de Thomas Ince et de Griffith qui, avec A travers les prairies américaines et  Le Massacre, lui donna le goût du spectaculaire et de la recherche technique. A partir de cet élan que lui conféra le cinéaste, le western allait, en dépit de signes d'essoufflement, connaître un véritable âge d'or, longe route jalonnée de noms célèbres qui doivent tout ou partie de leur gloire à leurs œuvres sur l'Ouest : John Ford, Cecil Blount de Mille, Henry King, Raoul Walsh, Howard Hawks, Anthony Mann, John Sturges, John Huston, Otto Preminger.
    Nombre de leurs réalisations sont aujourd'hui considérées comme des classiques du genre : La Chevauchée fantastique (John Ford), Rio Bravo et Red River (Howard Hawks), Duel au soleil (King Vidor), Le Brigand bien-aimé (Henry King), Le Train sifflera trois fois (Fred Zinneman), Les Septs Mercenaires (John Sturges)....
    Et, depuis une dizaine d'années, une véritable mutation se produit. L'approfondissement psychologique des personnages va en s'intensifiant. Une plus grand liberté de ton inspire le western, qui a volontiers recours au ressorts de la comédie. Plus de précision dans le réalisme, un ton souvent insolite, une ouverture sur l'imaginaire, sans crainte excessive des anachronismes, c'est là une nouvelle tendance illustrée par des hommes tels que Sam Peckinpah, Arthur Penn, Sydney Pollack, George Roy Hill..., toute une génération qui a su dégager la saga de l'Ouest de ses conventions et, en conservant les règles du genre, en a fait un instrument de réflexion sur la civilisation "américaine" au sens large.