Le Moyen-âge
Traditionnellement, le Moyen Age commencerait à la
chute du monde antique, marquée par le morcellement politique du Ve
siècle ap. J.-C. Il se terminerait au moment de la découverte de nouveaux
continents. En fait, ces limites sont assez discutables. Pour certains, l'unité
du monde romain est rompue dès le Bas-Empire, pour d'autres, elle se maintient
jusqu'à l'invasion de l'Islam, puissante force politique et religieuse nouvelle.
D'autre part, le monde "moderne" ne commencerait-il pas avec les conséquences
des grandes découvertes ou de la Renaissance italienne, ressenties à partir du
XVIe siècle? Quoi qu'il en soit, ce découpage ne peut être valable
que pour l'Occident, et exclut l'Orient romain, le Proche-Orient et bien
évidemment l'Asie lointaine.
Au Moyen-Age, l'art porta la marque d'une foi intense. L'un des hauts lieux du
style roman fut la plaine du Pô et notamment la superbe cathédrale de Modène
(fin XIe siècle), conçue par Lanfranco. On doit à Guglielmo de Modène
les reliefs de la façade (début XIIe siècle), parmi lesquels cette
figuration du prophète Zacharie.
Le nom de "Moyen-Age" définit encore plus mal cette période
historique. La Renaissance et l'âge classique la considèrent comme "l'âge des
ténèbres". C'est le temps de l'art "gothique", mot qui est revêtu, ainsi que
celui de "féodal" après la Révolution française, d'un sens péjoratif. Les
romantiques des XIXe et XXe siècles revalorisèrent enfin
le Moyen-Age. L'époque contemporaine surtout contribue à faire connaître un "Moyen-Age
des profondeurs". Jusque là, les sciences traditionnelles, épigraphie,
paléographie, diplomatique, nous faisaient connaître essentiellement par des
textes écrits la "couche supérieure" de la civilisation médiévale.
Des sciences nouvelles révèlent aujourd'hui une société où la
grande majorité était illettrée. L'analyse chimique des métaux, des pollens
fossiles (la palynologie), des restes végétaux (la dendrologie), la photographie
aérienne servant l'archéologie agraire, la climatologie historique, la
sociologie, l'anthropologie, l'ethnologie, révèlent un Moyen Age totalement
nouveau. On peut diviser cette époque en trois périodes distinctes : le haut
Moyen-Age du Ve au Xe siècle, l'époque féodale du XIe
au XIIe siècle, et "les temps difficiles" du XIVe au XVe
siècle.
Le haut Moyen-Age est l'époque des grands bouleversements. Du
VIe au VIIe siècle, les tribus germaniques déferlent sur
le monde romain, qui se fragmente en multiples cellules repliées sur
elles-mêmes. Le commerce, l'économie, se désorganisent, entraînant par voie de
conséquence la "ruralisation" des populations.
Extraite d'un livre d'Heures, une scène
d'intérieur au Moyen-âge.
Les Barbares fusionnent avec les populations locales, malgré
certains heurts suscités par leur convoitise des terres, les différences de
lois, et l'antagonisme des religions. Ils empruntent cependant aux structures
politiques et à la culture romaine certains éléments. Pourtant, ils accentuent
le déclin entamé sous le Bas-Empire et provoquent un véritable affaiblissement
de l'Occident chrétien.
La chute démographique, le recul technique, la régression des
mœurs, de l'administration, du gouvernement, la vulgarisation des valeurs
religieuses et culturelles, transforment le monde occidental.
Une scène de la vie agreste au Moyen-Age. La majeure partie
de la population médiévale vivait de la terre. De cette dépendance devait naître
une série de progrès techniques destinés à faciliter les travaux des champs :
attelage moderne, ferrure du cheval, brouette... Grâce à eux, le servage
disparut peu à peu.
Seule l'Eglise maintient une certaine unité et un certain
ordre. Organisant la défense, traitant avec les Barbares, protégeant les
faibles, elle joue un rôle politique et "fait l'apprentissage du cléricalisme"
en confondant pouvoir spirituel et pouvoir temporel. La reconnaissance de la
supériorité morale du pape, l'expansion du monachisme bénédictin jusque dans les
pays anglo-saxons et sur le Rhin, contribuent à établir un certain lien
international entre les divers royaumes barbares qui se mettent en place.
Du VIIIe au IXe siècle, les Francs
essaient d'organiser l'espace occupé par leurs congénères, et de reconstituer
l'unité de l'Occident à partir de la Gaule, vers le sud-est en Italie, vers le
sud-ouest en Espagne et à l'est en Germanie. Cette œuvre est entreprise grâce à
l'appui de l'Eglise. L'alliance du pouvoir politique et de l'Eglise constitue un
des traits majeurs du Moyen-Age.
Le Diptyque de Boèce célèbre le
consulat, en l'an 487, de Manlius Boetius. Il était le père du philosophe
médiéval auteur de l'ouvrage De la consolation de la philosophie.
Sculptés dans le bronze ou l'ivoire, les diptyques consulaires étaient réalisés
à Rome ou Constantinople à la demande du nouveau consul, soucieux de se faire
connaître. Il enserrait un texte entre les deux plaquettes à son effigie.
Au IXe siècle, l'empire carolingien, face aux
empires byzantin et musulman, représente une de ces trois forces politiques qui
encadrent la Méditerranée, zone principale de contacts et de conflits. Le
rétablissement d'un gouvernement et d'une administration efficaces permet alors
un certain renouveau économique et une légère reprise des affaires. L'économie
reste cependant essentiellement rurale. Le grand domaine foncier, unité
économique fondamentale, sert de base à la société. La hiérarchie des conditions
personnelles dépend de la façon dont chacun se situe par rapport à la terre.
L'ordre politique favorise encore ce que l'on a appelé la "renaissance
carolingienne", renaissance des lettres et des arts, encouragée par les
souverains, élaborée par les clercs.
Le manque de sens de l'Etat chez les Francs provoque une
série de crises politiques après la mort de Charlemagne. De nouvelles invasions
se produisent. Tout ceci entraîne un morcellement de l'autorité. Les grands
accaparent la terre, donc la puissance économique et, par là, la puissance
politique. Ce phénomène fut, à l'origine, favorisé par Charlemagne. Le don de
terre, et le développement de liens personnels par la vassalité, instaurent peu
à peu la structure politique, économique et sociale qui caractérise l'époque
suivante : la féodalité.
A la suite de l'appel lancé par le pape Urbain II au
concile de Clermont (1095), une grande effervescence se manifesta parmi les
chrétiens; elle devait provoquer l'épopée des croisades en Terre Sainte, avec le
siège et la prise de Jérusalem (1099).
Du XIe au XIIe siècle, s'accentuent la
féodalisation et le morcellement des pouvoirs en France d'abord, puis en
Allemagne, en Italie, en Angleterre. Les souverains se maintiennent, mais sans
grand pouvoir réel. Le roi de France et l'empereur veillent avec le pape sur le
monde chrétien. Les rois d'Allemagne se parent du titre d'empereur restauré par
les Othon et prétendent en vain à une direction universelle. A ce titre, ils
s'opposent vivement aux papes.
Une longue lutte dont les enjeux essentiels consistent dans
la domination temporelle de l'Italie du Nord et le contrôle spirituel de la
chrétienté, opposent ces deux autorités au XIIe siècle. Après une
victoire de la papauté au début du XIIIe siècle, la lutte reprend
avec violence et se poursuit encore au XIVe siècle. Aux nouvelles
structures politiques correspondent de nouveaux cadres économiques (la
seigneurie) et sociaux, fondés "sur les liens d'homme à homme" dans lesquels
"une classe de guerriers spécialisés, les seigneurs, subordonnés les uns aux
autres, domine une masse paysanne qui exploite la terre et les fait vivre".
Cette époque que l'on a cru engourdie dans la torpeur fit
montre d'un réel dynamisme qui a causé, parfois très tôt, l'éclatement du cadre
féodal. Le développement des techniques agricoles, la poussée démographique,
entraînent un fort mouvement de défrichement et de conquête des terres qui
modifie le paysage des campagnes occidentales. La production agricole augmente
et la circulation des biens s'intensifie en même temps.
Contre espèces sonnantes et
trébuchantes, les moines se chargeront de l'éducation de cet enfant, présenté
par ses parents (fin XIIIe siècle). L'enseignement est aux mains des
écoles épiscopales et monastiques. Deux maîtres sont restés célèbres : Abélard à
Paris, Gerbert à Reims. Les premières universités apparaîtront au XIIIe
siècle. Celle de Paris date de 1200.
Voyager constitue une des grandes distractions de l'époque.
Tout prétexte est bon pour échapper à la monotonie de la vie ou à la pesanteur
des liens collectifs. Le pèlerinage en est la plus belle occasion!
L'intensification des échanges assure la fortune de ceux qui s'y consacrent; les
marchands sont de plus en plus nombreux. Leur particularité tient à la source de
leur richesse, qui n'est plus la terre, mais l'argent, à leur habitat, le bourg,
qui entraîne la renaissance des villes occidentales.
Ces "bourgeois" qui doivent être très mobiles, par
profession, entendent se débarrasser des contraintes financières et des corvées
seigneuriales. Un mouvement de libération des "communes" (association de tous
les chefs de famille d'une ville) se déclenche au XIIe siècle, créant
un groupe social à vocation économique et à statut juridique étrangers à la
société féodale.
L'Eglise manifeste de son côté une grande vitalité. Grâce au
progrès des techniques militaires, l'aristocratie chevaleresque, à l'étroit sur
ses terres, en mal d'aventures et de combat, implante lors d'expéditions
guerrières le christianisme en même temps que les structures féodales en Sicile,
en Espagne, au détriment des musulmans (la "Reconquista") en Terre Sainte (les
Croisades).
A ce dynamisme conquérant, s'ajoute un grand élan spirituel
qui s'observe à la création de nouveaux ordres monastiques. L'effort de réforme
des mœurs ecclésiastiques est mené par la papauté (Grégoire VII). Le renouveau
intellectuel qui se manifeste dans les écoles ecclésiastiques (cathédrales ou
monastiques) se mesure à l'influence qu'exercent certains centres comme celui du
Bec-Hellouin, de Reims, où l'activité intellectuelle est intense.
Sainte Ursule arrive à Cologne; premier des huit épisodes
de la vie de la sainte, dont Hans Memling a décoré les panneaux de la Châsse
de sainte Ursule (1489). La minutie avec laquelle est rendue l'architecture
des édifices qui servent de toile de fond permet de reconnaître la cathédrale
(inachevée), Saint-Martin, Saint-Séverin et la Bayenturm à Cologne.
La théologie et sa "servante", la philosophie, entrent
désormais dans le cycle normal des études avec les sept arts libéraux
traditionnels. En outre, troubadours et trouvères développent parmi
l'aristocratie le goût des poèmes d'amour et des épopées militaires. Le
dynamisme créatif de cette époque se manifeste encore dans les multiples œuvres
sculpturales et architecturales qui éclosent de 1075 à 1100.
Au milieu du XIIe siècle s'ouvre l'ère classique
du Moyen-Age (jusqu'au XIIIe siècle). Son unité est certaine. Le
développement des communications, les grands carrefours commerciaux(les foires),
religieux (les monastères et centres de pèlerinages), intellectuels (les
universités - celle de Paris notamment), favorisent les échanges de tous ordres
et la fusion des diversités régionales ou nationales. Les grandes synthèses
artistiques ou intellectuelles qui unissent élévation vers Dieu et humanité du
décor dans les cathédrales gothiques, raisonnement et révélations dans les
"Sommes", expriment l'équilibre profond particulièrement caractéristique de la
civilisation française jusque vers 1275.
Pourtant cet équilibre se révèle fragile. Sur le plan
économique,, l'accroissement de la production industrielle (les draps),
l'intensité des échanges commerciaux à travers l'Europe (Italie, Flandre,
Occident, Orient) exigent une modification de la circulation monétaire.
L'économie commerciale pénètre de plus en plus les campagnes, entraînant de
profondes transformations sociales. Les conditions matérielles des paysans
s'améliorent en général, alors que bien des nobles s'appauvrissent. Privés de
leur richesse foncière, les seigneurs s'acharnent à défendre leurs privilèges
honorifiques.
L'activité économique, intellectuelle, est généralement
favorable aux rois. Avec astuce, énergie et ténacité, les monarques récupèrent
la réalité de leurs pouvoirs et l'affermissent par une centralisation du
gouvernement et de l'administration. Ainsi, sous des formes différentes, en
France et en Angleterre, l'action royale progresse.
Par contre, dans les pays d'Empire, l'autorité souveraine est
complètement rabaissée, et l'institution d'Empire disparaît au milieu du XIIIe
siècle. L'union Allemagne-Italie est rompue, et, contrairement aux royaumes
cohérents de France et d'Angleterre, ces pays sont la proie des rivalités et la
victime des morcellements.
Cet effondrement profite au pape qui prétend, à nouveau, être
seul guide temporel et spirituel de la chrétienté. La centralisation
administrative dans l'Eglise renforce l'impression d'unité, cependant que de
puissantes forces souterraines travaillent les chrétiens. L'amour du "monde"
amour de meilleures conditions matérielles, de la femme, du gain, ...) le
progrès de la recherche rationnelle dans l'élite intellectuelle, le désir, dans
les masses populaires, d'un lien plus affectif avec Dieu, mettent en lumière
l'impossibilité pour l'Eglise de contrôler totalement les mœurs et la pensée des
chrétiens.
Malgré l'opposition violente de l'Eglise et ses efforts
d'adaptation (naissance des ordres mendiants, formation des "universités"),
l'esprit anticlérical se répand parmi les laïcs qui ne se cachent plus pour
l'exprimer. Il trouve une résonance chez les grands monarques français, en
particulier, qui refusent l'ingérence pontificale dans leur royaume.
Vers 1320, l'Europe entre dans une longue période de troubles
dont elle sort métamorphosée. De graves calamités naturelles entraînent des
famines catastrophiques qui entretiennent le mauvais état de santé des
populations. La terrible peste noire (1348-1350) contribue à faire périr le
tiers de la population de l'Europe. L'affermissement des monarchies en France et
en Angleterre, où les peuples prennent de plus en plus conscience de leur unité
au travers d'une langue nationale qui s'impose, aboutit à leur affrontement en
un conflit sporadique mais meurtrier pour les terres et les hommes.
Le Festin d'Alaciel et de Péricon de
Visalgo. Par delà cette scène, empruntée à l'un des contes du Décaméron,
fameux ouvrage de "maistre florentin" Jean Boccace (1313-1375), c'est toute la
haute société médiévale qui revit, univers de courtoisie et de raffinement.
L'Eglise ne peut répondre à l'angoisse devant la mort, qui
étreint les hommes de ce temps. La religion ne paraît plus y apporter une
réponse suffisante. La vie indigne du clergé, les luttes violentes entre les
papes rivaux (Grand Schisme) ne suscitent qu'indignation et mépris. Les églises
nationales (en France notamment) se désolidarisent du pape et l'idée que la
chrétienté devrait être gouvernée par un concile général affaiblit encore
l'autorité pontificale.
A cette double crise morale et religieuse, certains répondent
par des actes de mortification violents et spectaculaires. D'autres s'adonnent à
la sorcellerie. Les hérésies se développent. Dans la vie quotidienne, les riches
essaient de se griser par des plaisirs extravagants. L'exaspération des pauvres
devant ces abus, s'ajoutant à la misère matérielle et morale, engendre dans les
villes italiennes ou les campagnes françaises des révoltes impitoyablement
réprimées.
Au cours de la deuxième moitié du XVe siècle, les
choses changent. Les monarchies reprennent le mouvement de centralisation
esquissé au XIIIe siècle. Les princes assurent l'unité territoriale
de leur pays par les conquêtes ou l'anéantissement des anciens fiefs
seigneuriaux. Ils créent les instruments de la concentration politique en
mettant en place les organes du gouvernement central et local; pour ce, ils font
appel aux bourgeois, nouveaux cadres sociaux qui affaiblissent d'autant le rôle
politique de la noblesse. Les Etats modernes se dessinent alors.
Le rétablissement de la paix et de l'ordre politique
s'accompagne d'un renouveau démographique et social. L'industrie des textiles se
transforme, l'industrie minière fait de grands progrès, l'agriculture, malgré
quelques aménagements (amélioration de l'élevage, apparition de nouvelles
cultures), stagne, mais les campagnes se repeuplent. Les progrès de la
construction navale, des techniques bancaires et commerciales sont à l'origine
d'un grand développement des échanges et de la multiplicité des routes
commerciales. L'Atlantique s'éveille, concurrençant la Méditerranée et la mer du
Nord. Certes, la chrétienté se replie devant l'invasion ottomane (prise de
Constantinople en 1453), mais son horizon s'élargit ailleurs.
Aux possibilités géographiques s'ajoutent toutes celles que
permet l'invention de l'imprimerie, expression d'une civilisation en mutation;
l'humanisme naissant trouve en elle un parfait moyen d'expression et de
diffusion. L'homme peut ainsi faire une autre découverte bouleversante :
lui-même. "L'homme est le modèle du monde" dit Léonard de Vinci. A la fin du XVe
siècle, il partira à la découverte et du modèle et du monde.
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